4 000 euthanasies clandestines par an en France ? C'est faux

Ces derniers mois, les déclarations suivantes ont été faites :

« Les personnes en fin de vie sont parfois euthanasiées, contre leur gré, en catimini, dans nos hôpitaux. Il est donc grand temps d’encadrer les quelque 4 000 « euthanasies » clandestines. #Findevie #DirectAN » (Caroline Fiat, député, 24 janvier 2018)

« 2.000 à 4.000 personnes en phase terminale » sont euthanasiées « en catimini » (tribune de 156 députés, Le Monde, 28 février 2018)

« Chaque année en France, 4000 euthanasies clandestines, pratiquées à l’insu du patient et de la famille, sont recensées. C’est un scandale #admdLyon #NousSommesPrets » (Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD, 9 juin 2018)

« Selon lui, près de 4.000 euthanasies se font « en catimini » chaque année » (« Jean-Louis Touraine, porte-voix des militants pour l'euthanasie », LyonCapitale.fr, 10 juin 2018)

Le 21 novembre 2018, devant le groupe d’étude fin de vie à l’Assemblée Nationale, le Docteur Yves de Locht, médecin belge, a repris à son compte cette position, mettant en cause le système français, et affirmant que la législation belge remédierait aux dérives en la matière.

Pourquoi c'est faux

1)  Il  y  a  4  fois  moins  d’euthanasies  clandestines  que  ce  qui  est prétendu.

L’étude de l’INED publiée en 2010 sur laquelle se fonde ces propos n’a jamais énoncé un chiffre de 4.000 euthanasies clandestines.

Seule l’« administration de médicaments pour mettre délibérément fin à la vie » peut être considérée comme constituant un acte d’euthanasie, soit 38 cas  sur 4.723 décisions c’est-à-dire 0,8% des décisions médicale en fin de vie.

Les députés et militants affirmant l’existence 4.000 euthanasies clandestines ont expliqué avoir procédé à une extrapolation de ce pourcentage à l’ensemble des décès en France (Libération, 31 janvier 2018 ; Le Quotidien du Médecin, 26 janvier 2018).

Or, (i)  cette extrapolation n’est pas rigoureuse et (ii) l’auteur de l’étude, Sophie Pennec, expliquait à Libération que la moitié des 38 cas correspond en fait à une sédation terminale et non à une euthanasie.

Pour peu que l’on prenne connaissance de l’intégralité de l’étude, on lit que, parmi les décisions médicales en fin de vie, seules « 0,2% sont pratiqués en administrant délibérément une substance pour mettre fin à la vie (11 cas) » (encadré n°3 de l’étude).

Rapporté  au nombre de décès en France en 2009 (548.500 selon l’INSEE), on compterait donc 1.097 euthanasies clandestines pratiquées en 2009, soit quatre fois moins que les chiffres avancés.

Quel que soit le nombre concerné, aucune euthanasie clandestine n’est acceptable. Pour autant, quand le docteur De Locht affirme que la légalisation de l’euthanasie en Belgique aurait mis fin aux situations clandestines, c’est encore faux.

La réalité est que :

(2)   La  dépénalisation  de  l’euthanasie  ne  diminue  pas  le  nombre d’euthanasies clandestines, elle l’accroît même peut-être.

En effet, dépénaliser l’euthanasie déplace la limite de la transgression. Les pays qui ont procédé à la légalisation de l’euthanasie connaissent ainsi davantage d’euthanasies illégales que la France, alors même que le critère de l’illégalité a été repoussé.

Aux Pays-Bas, déjà, une enquête publiée par le Lancet en juillet 2012 indiquait que 23% des suicides assistés pratiqués aux Pays-Bas ne sont pas enregistrés.

      Prof. Bregje D Onwuteaka-Philipsen, Arianne Brinkman-Stoppelenburg, Corine Penning, Gwen JF de Jong-Krul, Prof Johannes JM van Delden, Agnes van der Heide, Trends in end-of-life practices before and after the enactment of the euthanasia law in the Netherlands from 1990 to 2010: a repeated cross-sectional survey ,Volume 380, No. 9845, p 908 – 915, 8 September 2012).

Une étude menée en Belgique soulignait que le nombre d’euthanasies  clandestines est le triple du nombre d’euthanasies clandestines en France malgré la légalisation de la pratique : 1,8% des décès contre 0, 6% en France. Si l'on  retient  l'administration  d'une  substance dans le but de donner la mort (0,2%), elles seraient même neuf fois supérieures.

E  Chambaere K, Bilsen J, Cohen J, Onwuteaka-Philipsen BD, Mortier F, Deliens L. Physician-assisted deaths under the euthanasia law in Belgium : a population-based survey. CMAJ. 182(9): 895-901. 2010. Cohen J, Van Wesemael Y, Smets T, Bilsen J, Deliens L. Cultural differences affecting euthanasia practice in Belgium: one law but different attitudes and practices in Flanders and Wallonia. Soc Sci Med. 75(5): 845-53. 2012. 

Cette étude souligne encore que la décision d’euthanasie n’avait même pas été discutée avec 25% des personnes euthanasiées.

(3) Le contrôle des euthanasies en Belgique est ineffectif

La procédure de contrôle des euthanasies est déclarative : le médecin qui pratique une euthanasie remplit un formulaire qu’il transmet à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE).

Au début de l’année 2018, une euthanasie a été pratiquée sur une personne sans son consentement et sans recourir à un deuxième avis médical comme la loi belge le requiert. La CFCEE a pourtant refusé de transmettre ce cas au parquet (RTL, 6 janvier 2018).

L’un de ses membres, le docteur Ludo Vanopdenbosch, pourtant favorable à l’euthanasie, a alors démissionné de la commission et souligné les graves failles de cette commission :

-          cette « commission de contrôle n’a aucun moyen de vérifier la véracité des faits mentionnés dans les formulaires de déclaration d'euthanasie »,

-          lui-même sait « comment remplir ces formulaires de telle manière à ce qu'ils soient validés sans problème par la CFCEE, sans aucun contrôle des données factuelles ». (Le Journal du médecin, 21 mars 2018).

Il  a également souligné que certains de ses membres pratiquent eux-mêmes des euthanasies, et sont donc conduits à contrôler, voire couvrir, leur propre pratique.

Dans son rapport 2014-2015, la CFCEE elle-même rappelait qu’elle « n’a pas la possibilité d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasies déclarées par rapport au nombre d’euthanasies réellement pratiquées » (Rapport 2014-2015 de la CFCEE aux chambres législatives, p. 18).

Elle ne contrôle qu’un nombre restreint d’euthanasies, celles que les médecins veulent bien déclarer. Outre les déclarations du Dr Ludo Vanopdenbosch, l’étude précitée publiée au Lancet souligne que seule une euthanasie sur deux est déclarée à la CFCEE.

La CFCEE avait préalablement reconnu elle-même dans son premier rapport que :

« l’efficacité de sa mission repose d’une part sur le respect par le corps médical de l’obligation de la déclaration des euthanasies pratiquées et d’autre part sur la manière dont ces déclarations sont rédigées » (Premier rapport aux Chambres législatives  de  la CFCEE   22 septembre 2002-31 décembre 2003, p.23).

Sa mission de contrôle dépend donc de la bonne volonté de ceux qu’elle est censée contrôler.

Plus encore, fin 2014, le président de la CFCEE, le Pr Wim Distelmans, déclarait :

« Les cas déclarés sont tous en conformité avec la loi. (…) Les cas douteux évidemment, les médecins ne les déclarent pas, alors on ne les contrôle pas » (Complément d’enquête, 30 octobre 2014).

Quant au Dr Vanopdenbosch, il  déclaré dans sa lettre de démission « [ne] plus [tenir] à faire partie de cette commission, qui non seulement viole sciemment la loi, mais œuvre à le dissimuler ».

La « Commission de contrôle » belge ne procède ainsi à aucun contrôle véritable : elle ne connaît que d’une euthanasie sur deux, ignore les « cas douteux », et n’a aucun moyen de vérifier les déclarations quand elles sont faites. 

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