PLÉNIÈRE SFAP Valenciennes
Le plus facile ce sera évidemment de vous remercier d’avoir en plein mois de juillet, accepté de vous poser toutes ces questions et essayé d’y répondre. C’est une masse énorme d’informations : 9 questions ouvertes qui nous donnent plus de 15 000 réponses au total. Et de remercier aussi les 9 binômes qui ont accepté de passer une partie de leur mois d’août penchés sur les lignes de leurs tableaux Excel pour vous présenter ces premiers résultats qui donneront ensuite sans doute lieu à plusieurs publications dans des revues nationales ou internationales.
Tout naturellement, j’avais choisi de dépouiller la question « Avez-vous un message pour la SFAP ? ». Quelqu’un a juste répondu : « Faites gaffe, on ne rigole pas ! ». Elle résume assez bien mon état d’esprit avec juste un peu de trouille en plus.
Vous connaissez sans doute la théorie de l’omelette au lard : pour faire une omelette au lard il faut des œufs et du lard. La poule donne ses œufs, elles et concernée. Le porc donne son lard, il est impliqué.
Nous tous, comme citoyens et comme personnes humaines, sommes concernés par cette question de la fin de la vie, par la mort qui nous attend tous, nous ou nos proches, et par les conditions dans lesquelles elle surviendra. Il est légitime d’avoir peur, de souhaiter donner son avis, d’envisager toutes les solutions sans exception : plutôt mourir que souffrir, plutôt mourir que mal vivre, plutôt mourir que seulement survivre. Nous sommes concernés.
Soignants ou bénévoles de soins palliatifs, nous accompagnons tous des personnes qui vivent à l’ombre de la mort. Nous les écoutons inlassablement. Pas seulement avec nos oreilles mais aussi avec nos yeux pour mieux voir ce qui ne peut se dire, avec nos mains pour toucher ce qui fait souffrance et avec tout notre corps, tendu pour mieux comprendre, pour être là, complètement. Ensemble patients et soignants, nous sommes impliqués.
Inlassablement revient dans le débat public la question de la mort donnée. Mort donnée par des soignants à ceux qui en feraient la demande. Chacun est « pour » ou « contre », chacun a un avis. C’est normal, nous sommes tous concernés.
Mais nous tous ici qui sommes aux côtés de ceux qui partent, nous devrions alors préparer la seringue, dire au revoir à celui que nous avons appris à connaître en écoutant ses souffrances les plus intimes, le piquer et le regarder mourir. Nous sommes impliqués.
Travailler en soins palliatifs, c’est reconnaître que l’homme est mortel et que la médecine n’est pas toute puissante. Nous ne souhaitons ni prendre la vie, ni donner la mort à nos patients, même si ceux-ci nous le demandent. C'est un point de convergence pour l'immense majorité des soignants et des bénévoles intervenant en soins palliatifs. Est-ce un hasard si presque tous ceux qui côtoient au quotidien ces confins de la vie se rejoignent sur cette position du refus de la toute-puissance, si les résultats que nous venons de vous présenter sont en miroir quasiment inversé de ce qui s’exprime dans le débat public ? Bien sûr que non car nous avons tous en mémoire ce qui arrive au cochon de l’omelette au lard, celui qui est impliqué…
J’ai déjà eu l’occasion d’écrire que, pour moi, donner la mort, ce serait aussi faire mourir le médecin à l’intérieur de moi. Comment ne pas devenir alors un gigantesque cimetière, une nécropole de champs de bataille ? Je ne veux pas devenir un monument aux morts.
Mais je ne peux pas non plus, nous ne pouvons pas, être sourds aux débats de notre société, à ses évolutions, à ses demandes. Nous devons les entendre car ils s’imposeront à nous.
Je suis d’un tempérament résolument optimiste (mon mari dit même « optimiste béate… et ce n’est pas exactement un compliment), c’est pourquoi dans le questionnaire, à la question « Pensez-vous qu’une loi légalisant l’aide médicale à mourir va être votée prochainement ? » j’ai répondu « oui probablement » et pas « je suis certaine que oui ». Cela dit, je crois que nous devons tous garder en mémoire ce vote du 8 avril et surtout le rapport de force qu’il a montré. Nous devons être bien conscients que le risque est important et que nous n’aurons la maîtrise ni du calendrier ni des termes du débat. La campagne présidentielle qui s’annonce sera sans doute décisive.
Comme citoyenne, comme médecin mais surtout comme présidente de la SFAP, je suis inquiète mais j’essaie de garder les yeux ouverts. Nous allons peut-être devoir aller là où nous n’aurions pas voulu aller et ce serait alors une vraie douleur pour moi d’être la présidente qui tracerait ce chemin.
Je ne sais pas si je saurai être cette présidente mais je veux néanmoins, avec le soutien de tout le conseil d’administration, prendre des engagements :
- La SFAP dira sans peur ses valeurs et utilisera tous les moyens à sa disposition pour les faire connaître et comprendre.
A l’heure où la science pouvait croire (ou laisser croire) que la mort serait bientôt dépassée, les fondateurs de la SFAP sont venus interroger la médecine, notre système de soins et notre société tout entière. La mort est l’horizon de toute vie, comment aider à vivre à l’ombre de la mort ? Comment entendre l’homme souffrant et la globalité de sa plainte ? Serons-nous là, collectivement, pour dire à celui qui s’en va qu’il a du prix pour nous et qu’il va manquer à notre communauté d’hommes ? Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort, ils sont d'abord une philosophie qui place la relation humaine au cœur du soin. Ces pionniers auxquels je veux rendre un hommage appuyé sont venus dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur. Ils ont par leur obstination et leur persévérance ouvert des brèches, des fenêtres puis des portes. C’est grâce à eux que nous sommes réunis aujourd’hui. Merci !
Parce que nous sommes plus intelligents à plusieurs que tout seul, les soins palliatifs sont un éloge de l’interdisciplinarité. Parce qu’un médecin et une aide-soignante n’écoutent pas, ne parlent pas comme une infirmière et un psychologue, nous croisons nos regards, nos expériences et nos langages pour penser ensemble et créer de l'intelligence collective. Plus subversifs encore, dans ce monde parfois fermé qu’est l’hôpital, les soins palliatifs ont fait entrer des bénévoles formés à l’écoute qui viennent dire que l’homme souffrant ou mourant n’est pas seulement l’affaire de la médecine ou des soignants mais bien de toute la société. Combien de sociétés savantes ont dans leur conseil d’administrations des infirmières, des aides-soignantes, des bénévoles et des philosophes ?
Parce que, malgré tout, ce métier est difficile, les soins palliatifs sont un éloge de l’équipe. Nous faisons avec nos patients un bout du chemin, le bout de leur chemin. Ils partent mais nous devons revenir. En bon état si possible pour pouvoir repartir à nouveau avec d'autres. Ce chemin ne s'emprunte qu'en équipe, encordés, liés les uns aux autres pour retenir celui qui tombe ou qui irait trop loin.
Dans un monde qui va toujours plus vite en accordant au temps donné, passé, partagé, une place essentielle, les soins palliatifs sont un éloge de la lenteur. Prendre le temps de s'écouter, de se comprendre, de construire avec les patients et leurs proches les solutions qui leur conviennent. Préférer toujours le sur-mesure au prêt à porter (ou au prêt à penser), l’artisanat à l’industrie et le singulier au pluriel.
Les soins palliatifs sont aussi un éloge du regard. Le regard que nous portons les uns sur les autres. Ce regard qui peut mépriser, dévaloriser ou ignorer mais qui peut aussi soigner, respecter ou humaniser.
Dans une société qui valorise le contrôle, le pouvoir et la force, les soins palliatifs sont un éloge et un aveu de faiblesse et ils en sont fiers.
Un service de soins palliatifs est un lieu d'observation privilégié des fragilités humaines. Nos patients sont fragiles et vulnérables comme le sont leurs proches dans ces moments de détresse. Ils évoquent la mort, la souhaitent parfois puis parlent d'autre chose, de projets et d'espoir. Ils sont ambivalents, comme nous le sommes tous souvent. Se tenir droit face à la mort jusqu'au bout, la regarder venir et même la demander est difficile et rare. Seuls des gens forts en sont capables. Les soins palliatifs sont un choix de société : Non pas une société ultra libérale de l’individu autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et sa mort mais une société de la solidarité et de l'interdépendance prête à secourir la fragilité, une société du Care. Nous sommes en Care.
- Au nom de toutes ces valeurs qui nous rassemblent et qui sont notre force, n’en doutons pas, la SFAP fera tout son possible et par tous les moyens qu’elle jugera utiles, pour peser dans les débats pour parvenir au compromis le plus acceptable et pour protéger les soignants, les équipes et la créativité sans limite des soins palliatifs dont ce congrès est un magnifique témoignage.
- Chaque fois que des choix se présenteront nous reviendrons vers vous pour vous les expliquer, vous demander votre avis, vous consulter. Je voudrais que nous restions unis dans notre diversité et que nous n’ajoutions pas la peine de la division à celle de décisions douloureuses.
- Quoiqu’il arrive les soins palliatifs ne disparaîtront pas. Nous continuerons d’accompagner nos patients et leurs proches le mieux possible. La SFAP se battra pour que les soins palliatifs continuent de se développer pour offrir à tous de vivre jusqu’au bout dans la dignité.
Pour conclure je voudrais remercier Bertrand Sardin. L’année dernière à Strasbourg, quand j’ai été élue, me voyant sans doute un peu écrasée par la responsabilité, il m’a juste dit « En avant, calme et droit ». Je m’en souviens à chaque audition ou interview. Tellement soutenue par un bureau formidable, je n’ai pas trop de mal à garder mon calme. Quant à ce qui est d’aller droit, je compte sur vous tous pour nous y aider.
Merci Bertrand, merci à chacun des membres du bureau, merci à tous et faites gaffe, on ne rigole pas.
Claire Fourcade, présidente de la SFAP
Septembre 2021
Fichiers:
- Présentation consultation nati...