« En fin de vie, on laisse les patients mourir de faim et de soif »

Manger et boire sont des actes essentiels à la vie.
Aussi, quand des patients gravement malades cessent de s'alimenter ou de boire, ou quand les équipes soignantes décident de ne pas mettre en place ou d'interrompre une nutrition ou une hydratation artificielles cela suscite naturellement de nombreuses questions.
Les patients en fin de vie meurent-ils de faim ou de soif ?

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Pourquoi c’est faux.


En résumé :

(1) -> La fin de vie s'accompagne généralement d'une perte des sensations de faim et de soif ;

(2) -> La déshydratation peut avoir certains effets bénéfiques pour le confort du patient alors que l'hydratation n'améliore pas la sensation de soif en fin de vie ;

(3) -> L'hydratation et l'alimentation articifielle peuvent nuire au confort du patient.


S’il est parfaitement compréhensible que les proches soient impressionnés par la fin de vie et par l’absence de nutrition ou d’hydratation artificielles, l’inutilité, voire dans certains cas la nocivité, de celles-ci est parfaitement documentée par de nombreuses études (le lien vers les publications est indiqué, lorsqu’elles sont disponibles en ligne), et étayée par la pratique.

 

1) -> Une très grande majorité des patients en fin de vie n’a pas de sensation de soif.

Lorsque la sensation de soif existe en fin de vie, elle est soulagée par la prise orale de petites quantités de boissons, de glaçons et par les soins de bouche. La sensation de soif étant directement liée à la bouche sèche, les soins de bouche sont essentiels.

L’arrêt de l’hydratation ne signifie jamais un arrêt des soins ou un abandon, mais toujours la recherche du plus grand confort pour le patient. Les soins de confort sont alors intensifiés.

La vigilance des soignants sera encore plus grande. D’ailleurs, les soins de bouche répétés et la proposition régulière de boissons demandent plus de temps et d’attention que la seule pose d’une perfusion d’hydratation.

-> McCann RM,Hall WJ, Groth-Juncker A. Comfort care for terminally ill patients: the appropriate use of nutrition and hydratation. JAMA 1994 ; 272(16):1263-1266
-> Burge FI. Dehydratation symptoms of palliative care cancer patients. J Pain Sympt Manag 1993 ; 8(7):454-464.
-> Oriot D., Lassaunière JM. Physiopathologie et sémiologie de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation. Med Palliative 2008 ; 7 : 310-14

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Dans le cas des personnes âgées, la perception de la soif diminue naturellement avec l’âge.

Chacun le sait d’ailleurs bien puisque, lors d’un épisode de chaleur, on répète régulièrement qu’il faut veiller à ce que les personnes âgées s’hydratent : c’est bien la manifestation d’une plus faible perception de la soif.

-> Phillips PA, Rolls BJ, Ledingham JGG et al. Reduced thirst after water deprivation in healthy elderly men. N Engl J Med 1984 ; 311:753-759.
-> Miller M Water. Metabolism in the elderly in health d disease aging changes affecting risk for hypernatremia and hyponatremia. Hydratation and aging. Serdi Publisher 1998 ; 59-81.
-> Winter SM. Terminal Nutrition : Framing the debate for the Withdrawal of nutritional support in terminally ill Patients. Am J Med 2000 ; 109: 723-6

 

2) -> La déshydratation peut avoir certains effets bénéfiques pour le confort du patient, alors que l’hydratation n’améliore pas la sensation de soif en fin de vie

Aussi étonnant que cela puisse paraître, si les soignants redoublent d’attention pour compenser ses effets négatifs, la déshydratation peut aussi avoir un effet bénéfique en termes de confort.

Elle réduit le volume urinaire ce qui permet de limiter des mobilisations parfois inconfortables, les vomissements, l’encombrement bronchique, l’ascite, voire les œdèmes péritumoraux, entraînant ainsi une diminution de la douleur.

Quoi qu’il en soit, les soignants continuent toujours les soins de bouche, et proposent régulièrement des boissons.

 

-> Dunphy K, Finlay I, Rathbone G, Gilbert J Rehydration in palliative and terminal care: if not- why not? Palliative Medecine 1995 ; 9:221-228.

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Les perfusions d’hydratation ne diminuent d’ailleurs pas la sensation de soif.

A l’inverse, plusieurs auteurs soulignent les effets secondaires nocifs de l’hydratation artificielle : risque d’augmentation de l’encombrement pulmonaire et pharyngé, d’œdèmes périphériques...
La perfusion sous cutanée, si elle est mieux tolérée, peut aussi susciter des hématomes, des douleurs au point de ponction, des œdèmes, ou un encombrement.

Le maintien de l’hydratation artificielle (même par voie sous cutanée) après arrêt de l’alimentation, risque de prolonger la phase agonique.

Ainsi, à un certain stade, maintenir l’hydratation artificielle nuit à la qualité de vie du patient.

-> Musgrave CF, Bartal N, Opstadt J. The sensation of thirst in dying patients receiving IV hydratation. J. Palliat Care 1995 ;11(4):17-21.
-> Lamande M., Dardaine- Giraud V., Ripault H., Chavanne D., Constans T. Utilisation de l’hypodermoclyse en gériatrie : étude prospective sur 6 mois, Age et Nutrition 2004 ; 15 : 103-7

 

3) -> L’hydratation et l’alimentation artificielle peuvent nuire au confort du patient

Dans la majorité des cas, en phase terminale, les patients ressentent une absence d’appétit voire même un dégoût de la nourriture.

Une étude a ainsi établi que 63% des patients suivis, en phase terminale d’un cancer, n’avaient jamais ressenti la faim, tandis que 34% d’entre eux ne l’ont ressentie qu’en début de période.

Une autre étude, portant sur 352 patients atteints d’un cancer avancé, a constaté que 81% de ces patients avaient perdu l’appétit (anorexie).

-> Mc Cann RM, Hall WJ, Groth-Juncker A. Comfort care for terminally ill patients. JAMA 1994 ; 272:1263-1266
-> Sarhill N, Mahmoud F, Walsh D et col. Evaluation of nutritional status in advanced metastatic cancer. Support Care Cancer 2003 ;11: 652-9

 
Les patients en fin de vie ne souffrent ni de la faim ni de la soif. Les forcer à manger ou à boire serait de l'acharnement thérapeutique.

 

En outre, la nutrition par sonde nasogastrique ou par gastrostomie expose à diverses complications pulmonaires.

Maintenir l’alimentation pour soulager le patient peut donc aboutir à l’effet inverse.

-> Finucane TE, Christmas C, Travis K Tube feeding in patients with advanced dementia. A review of the evidence JAMA 1999; 282: 1365-70.
-> Gillick MR Rethinking the role of tube feeding in patients with advanced dementia N Engl J Med 2000 ; 342:206-10.
-> Stratégie de prise en charge en matière de dénutrition protéino-énergétique chez le sujet âgé. Recommandations Professionnelles HAS 2007.
-> Casaret D, Kapo MD, Caplan A. Appropriate use of artificial nutrition and hydration – Fundamental principles and recommandations. N Engl J Med 2005 ; 354 (12): 2607-12.
En phase terminale, ce n'est pas parce qu'un patient ne mange pas qu'il va mourir, c'est parce qu'il va mourir qu'il ne mange pas.

 

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