« ET SI LA SFAP N’EXISTAIT PAS ? »
PLÉNIÈRE BORDEAUX
Depuis 2 ans nous avons eu les gilets jaunes, le Covid avec ses confinements, ses visites interdites et des pratiques de soin dégradées. Nous avons maintenant la crise de l’hôpital et la guerre en Ukraine. Alors, une fois n’est pas coutume, ce matin j’ai décidé de venir avec des bonnes nouvelles.
Je voudrais d’abord remercier du fond du cœur monsieur le député Falorni. Il y a un an le projet de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté qu’il portait et qui n’a pas abouti, a été pour nous tous un électrochoc, vous savez celui qui fait repartir le coeur.
Grâce à lui nous avons lancé une grande consultation nationale qui a donné à la Sfap un mandat clair pour participer à tous les débats sur le sujet de la fin de vie et pour dire que « faire mourir n’est pas un soin » car, non, faire mourir ne peut pas être un soin. Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier.
Grâce à lui nous avons ensuite lancé la 1ère campagne de communication sur les soins palliatifs. Elle a été vue par près de 17 millions de personnes et plus de 150 000 sont venues sur le site « osons vivre » pour y trouver des informations sur les soins palliatifs.
Cette campagne s’est doublée d’une campagne d’influence qui nous a permis de rencontrer toutes les équipes des candidats à la présidentielle et de faire entendre la voix des SP par le site « mobilisation soins palliatifs ». Une campagne qui, avec votre aide, va se poursuivre auprès des députés qui vont être élus dimanche et qu’il va falloir tous inviter dans nos structures pour les sensibiliser aux soins palliatifs parce qu’un député venu, c’est presque toujours un député convaincu.
Nous avons aussi décidé de revoir tout le projet associatif de la Sfap pour nous demander quelle Sfap nous voulions pour les années à venir, de quelle Sfap nous avions besoin. Nous ne voulons pas changer la Sfap mais, dans un monde où beaucoup de choses changent et pourraient changer encore davantage dans les mois à venir, nous voulons la mettre à la hauteur des défis qui l’attendent. Nous voulons agir plutôt que subir. Cette nouvelle Sfap sera plus forte sur le plan scientifique, plus audible dans la société pour faire entendre la voix des plus fragiles et de ceux qui les soignent, plus solide dans sa structure pour être à votre service à tous.
Alors si une seule proposition de loi, même pas aboutie, peut produire un tel résultat, vous imaginez ce que pourrait donner un projet de loi qui serait voté ?
Bon, on ne va quand même pas aller jusqu’à le souhaiter…Mais même si des vents mauvais se lèvent, et pour tout vous dire l’horizon est un peu bouché en ce moment, nous allons continuer de lutter pour faire entendre la voix des soignants. Pour dire haut et clair, que la main qui soigne ne peut pas être la main qui tue et redire toujours que donner la mort n’est pas un soin.
Et même si notre voix n’était pas assez forte pour dévier complètement le cours de l’histoire, même si la loi changeait et que nous devions finalement aller, comme nous le redoutions, là où nous ne voulions pas aller, nous ne mourrons pas, nous ne disparaîtrons pas. Nous serons unis et nous ferons face ensemble parce que toujours des patients auront besoin de nous pour être écoutés, accompagnés et soulagés. Eux non plus ne disparaîtront pas. Même en Belgique, où la loi a changé il y a 20 ans, ce sont moins de 3% des DC qui sont des euthanasies. Il reste donc 97% de patients pour qui les SP peuvent permettre de vivre jusqu’au bout dans la dignité.
We will survive.
Pourquoi choisissons-nous les soins palliatifs ? Pourquoi décidons-nous de travailler au contact de la mort, des pleurs, de la peine, de la douleur, des plaies et des odeurs nauséabondes ?
Et plus encore : pourquoi restons-nous ? Pourquoi les équipes de soins palliatifs sont-elles souvent plus stables et moins malades que d’autres ?
Dans un monde du soin qui parfois semble n’avoir plus de sens, qu’est-ce qui fait sens pour nous ?
Qui dans notre société ose pousser chaque jour la porte de ceux qui vont mourir, encore et encore, non pas une fois mais 12 fois par jour tous les jours de l’année ? Qui ose regarder en face ce visage défiguré, le toucher et lui faire un sourire ? Qui ose entrer dans une chambre dont l’odeur déborde jusque dans le couloir sans un mouvement de recul ? Qui ose voir dans ce visage abimé, ce corps déserté par la conscience, cet esprit qui vagabonde, le reflet de notre commune humanité ? Qui ose écouter celui qui veut mourir comme celui qui ne veut pas mourir et résister à la tentation de s’enfuir ?
C’est vous. Vous tous. Chacun de vous.
Vous qui n’avez pas peur.
Vous qui êtes doux, adaptables, gentils et humbles. Vous tous qui acceptez et accompagnez ce que tant d’autres refusent : la vieillesse, la laideur, la maladie et la mort. Vous qui soulagez, apaisez, réconfortez et ramenez le sourire.
Vous tous à qui l’on ne dit pas assez combien vous êtes courageux, forts et dignes. Dignes de respect, d’éloge, de reconnaissance et d’admiration.
Nous sommes la médecine des petits riens, celle qui perd toujours et pourtant nous sommes forts et résistants. Notre médecine, celle des choses minuscules, des soins de bouche, de la douleur soulagée et des repas plaisirs est un changement de société majuscule.
Nous portons des valeurs : rendre le patient acteur de ses choix, de ses soins et surtout de sa vie, le mettre au centre de notre réflexion, de notre mode d’organisation, donner une place à ses proches, travailler en équipe, changer de regard, prendre le temps, faire l’éloge de la faiblesse et de la lenteur, de l’altérité et de la pluridisciplinarité.
Pendant des année mon mari, qui porte un regard distancié et volontiers ironique sur ce que je fais, m’a demandé s’il était bien raisonnable de faire découvrir la sophrologie, les socio-esthéticiennes ou les glaces bananes-myrtilles faites maison à des gens qui allaient mourir. Ce qu’il questionnait n’était pas de le faire ou de prendre soin et donner le meilleur à ces personnes mais d’attendre pour le faire les 15 jours avant la mort. Si tout cela est particulièrement nécessaire quand on vit à l’ombre de la mort, cela ne l’est pas moins tout au long du reste de la vie.
Nous avons commencé par la fin de la vie parce que c’est là qu’était l’urgence, parce que c’est là que se révélait de la manière la plus voyante l’absurdité d’une médecine qui morcelle l’être humain pour le réduire à ses organes, qui valorise mieux la technique que la relation, qui promet la vie éternelle quand la mort reste l’horizon de toute vie. Nous avons commencé par la fin de la vie parce que c’est de ces lieux qu’avaient déserté les médecins qui n’entraient plus dans les chambres de ceux qui allaient mourir et que la place était à prendre.
Maintenant c’est l’ensemble du monde du soin que désertent les soignants et que le sens abandonne. Maintenant que nous arrivons dans le mur de la financiarisation, de la logique de la performance et du tout économique, la place est à prendre partout.
Indignons-nous de ce qui est fait aux patients, de ces toilettes chronométrées, de cette présence rationnée, de cette écoute minutée.
Indignons-nous de ce qui nous est fait, de ce qui nous est imposé, de ce qui nous est refusé : avoir les moyens de soigner humainement et en accord avec les valeurs qui nous ont fait choisir tous ces métiers qui nous rassemblent.
Indignons-nous de ce qui est fait à notre société tout entière quand on lui dit que le faible, le vulnérable, le fragile, le vieux ou le moche n’ont pas leur place parmi nous et ne devraient pas être le centre de notre attention et de nos préoccupations.
Mais s’indigner ne suffit pas. S’indigner c’est ce qui fait se lever, c’est ce qui met en marche, c’est ce qui fait choisir les soins palliatifs quand les conditions de la fin de vie sont trop révoltantes. C’est ce qui m’a fait choisir, jeune externe, cette voie encore si peu empruntée quand j’ai entendu un professeur de médecine un de mes « maîtres » dire à un patient mourant du Sida « Vous en avez bien profité, maintenant vous n’allez pas venir vous plaindre et pleurnicher ».
Maintenant que l’indignation nous a fait nous lever, maintenant que nous nous tenons debout devant la société, nous pouvons avancer.
Que nous soyons aide-soignante, professeur de soins palliatifs, infirmière, assistante sociale, psychologue ou bénévole, nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes là parce que ce qui compte ce n’est pas le pouvoir, ce n’est pas la performance, ce n’est pas de gagner. Ce qui compte c’est la personne. Celle que nous avons devant nous : malade, vulnérable, cassée, mourante mais aussi celle que nous sommes tous, homme ou femme, soignants et citoyens qui avons tant besoin de donner du sens à ce que nous faisons. Les soins palliatifs ont du sens. Ils sont utiles et être utile peut rendre heureux.
Nous sommes une médecine puissamment Politique, au sens noble du terme car nous faisons une médecine dont la seule richesse sont les êtres humains : ceux que nous soignons et ceux qui la pratiquent.
Ensemble nous irons toujours plus loin pour continuer à innover, à inventer de nouveaux lieux pour accompagner, de nouvelles techniques pour soulager, pour allier technique et humanité, efficacité et écoute et pour tenir notre promesse du non-abandon.
Ensemble nous changerons le monde ou au moins le monde du soin et c’est déjà une immense ambition. Nous dirons qu’il est possible de soigner autrement, de donner du sens à notre pratique quotidienne, d’être la paix de ceux qui partent comme celle des survivants. C’est pour cela que nous sommes réunis ici aujourd’hui.
Ensemble nous transmettrons aux plus jeunes d’entre nous ce que nous avons reçu de nos aînés pour qu’à leur tour ils fassent vivre et grandir ce trésor.
Ensemble nous sommes invincibles. Si nous savons rester unis et faire de nos différences une force, nous surmonterons toutes les difficultés.
Les soins palliatifs sont un nouveau modèle du soin, une nouvelle façon d’envisager, de regarder, de valoriser l’être humain. Et si les soins palliatifs étaient l’avenir de notre système de santé ? Ils sont un progrès inouï : Soigner ensemble pour permettre de vivre dignement jusqu’à la mort. Ils ne sont pas une évolution mais une Révolution.
Il est là le pouvoir subversif des soins palliatifs, il est là le génie des soins palliatifs.
Je vous l’avais dit, que des bonnes nouvelles ! Merci et …We will survive !
Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP, Juin 2022